À la moitié de ma résidence à La Laune,
j’ai écrit la moitié de mes chapitres (quel timing !). Pour savourer les dernières heures avec mon amoureux, je m’offre donc un petit week-end dans les Calanques marseillaises que je rêvais de découvrir depuis longtemps. Et je ne suis pas déçue !
Ces deux journées d’interruption me sortent un tout petit peu du projet en cours et je me remets au travail un peu trop lentement à mon goût. E. Shafak a bien raison quand elle écrit dans « Le lait noir » :
« Si tu fais une pause de deux jours, le troisième, tu peines à te remettre à ton livre. Dès que tu le négliges, tu dois à nouveau gagner le cœur des personnages du roman. Ils boudent immédiatement. L’écriture romanesque exige discipline et conviction. Chaque jour, chaque semaine, chaque mois. C’est le livre et non l’écrivain qui décide de faire une pause. »
Grâce à mon stylo et à mes carnets, je parviens pourtant à retrouver le ton juste, un bon rythme et beaucoup de plaisir dans les jours qui suivent. Je réalise encore une fois à quel point l’écriture manuscrite est vraiment primordiale pour me sortir des moments creux. À ce niveau, le journal de bord que je tiens le temps de l’écriture de chaque roman m’aide beaucoup : j’y réfléchis à la construction du récit, j’y note les points problématiques et les questions en suspens, j’y prépare les futures relectures et j’y écris quand je bloque. J’ai lu quelque part que « Les solutions viennent en écrivant » (je crois que c’est une phrase d’A. Nothomb) et je le vérifie souvent. Tellement souvent que, selon les projets, il me faut plus qu’un carnet 😉
Le roman progresse bien et je m’amuse beaucoup, malgré les incertitudes et les doutes. J’ai trouvé le souffle du texte et je me sens bien dedans, un peu comme dans mes 5 km quotidiens qui contribuent, je pense, à faire avancer l’écriture. Comme le dit H. Murakami : « Écrire des romans est fondamentalement un travail physique. L’écriture en soi est peut-être un travail mental. Mais mettre en forme un livre entier, le terminer, ressemble plus au travail manuel, physique. » Je profite au maximum de ce moment où l’écriture est « simple » et assez nourrissante pour en oublier de manger….ou presque !
Je sais qu’à l’approche de la fin du roman, le rythme ralentira et tout sera plus compliqué. D’ailleurs, mon ordinateur menace d’exploser, à cause de la chaleur qui monte autant que les heures de travail (il a déjà subi des grosses journées, mais jamais tant d’affilée, le pauvre…). Pour lui donner un peu de repos, je pars en vélo au Grau du Roi pour passer du temps à la mer. J’y poursuis ma lecture du « Journal » de J. Renard, sur une place où le vent tourne plus vite les pages que moi qui en souligne quelques passages.
Le retour à La Laune est épique à cause de travaux qui me font faire un détour d’une dizaine de kilomètres, dans une région que je connais si peu. Je m’encourage : si je parviens à pédaler 30 km, avec le vent de face et sans savoir si j’ai trouvé le bon chemin, je peux terminer ce roman dans les temps. C’est ridicule, mais ça fonctionne ! Et, à peine rentrée, je reçois un très beau bouquet de fleurs et du courrier qui réchauffe le cœur.
J’apprends aussi à connaître un peu Guillaume Jan, l’auteur de la chambre d’à côté, un reporter-aventurier dont la vie est plus remplie d’histoires qu’une fiction. On prend aussi le temps de déjeuner avec l’équipe du Diable Vauvert et de réaliser une interview sous le platane. Ma solitude s’émiette, c’est l’effervescence malgré la fatigue : le premier jet est terminé la veille de mon anniversaire et mon objectif atteint.
Très vite, je suis toute perdue. Et maintenant, Marie ? C’est toujours un drôle de moment que celui-là. Le roman est fini sans vraiment l’être, il est encore là mais plus vraiment, il va reposer un peu (comme la pâte à crêpes), il doit être relu, rerelu et rererelu (au mieux), il est bousculé par d’autres envies, d’autres idées qu’il est encore trop tôt pour concrétiser… Du coup, je m’offre la lecture fabuleuse d’« En attendant Bojangles », un livre magnifique que je n’oublierai pas de si tôt. Il m’émeut comme plein d’autres petites choses ce jour-là : j’ai 35 ans (et des cheveux blancs), ça fait tout pile 5 ans que j’ai envoyé mon premier manuscrit et, ici, ça sent doucement la fin aussi.
Heureusement (ou pas), l’écriture réserve souvent une belle part de surprise. Je reçois les commentaires de mon amoureux (encore lui !) et d’une amie sur mes derniers chapitres : ce n’est pas aussi bon que le reste, ça manque de clarté et ça va beaucoup trop vite – je le sais, j’ai tendance à prendre le TGV quand l’histoire se termine. Youpie, me revoilà au travail ! Horreur, je dois recommencer pas mal de choses et je n’y arriverai jamais avec les deux petites journées restantes. Les montagnes russes de l’écriture m’offrent un tour gratuit et je m’attelle au retravail en gardant bien en tête que « Tout ce qui n’est pas nécessaire est superflu ».
Je solutionne malgré tout la plupart des problèmes, je réécris, je fais mes valises et mon dernier jogging. J’aurai passé 30 jours dans le cadre enchanteur de La Laune, j’aurai écrit un premier jet de 112 359 signes – 20 413 mots – 2046 lignes, j’aurai travaillé 206h38 et j’aurai couru 105,23 km. De quoi rentrer en Belgique un peu fière et joyeuse, malgré la drache nationale et les 20 degrés en moins. Merci Les Avocats du Diable !
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